Cet enfant qui nous colle : quand l’attachement est (trop) intense

Selon la théorie de l’attachement de John Bowlby, les enfants développent des liens privilégiés avec leurs figures d’attachement, généralement leurs parents, mais aussi parfois des professionnel.les qu’ils rencontrent sur leur lieu d’accueil. Ces liens sont cruciaux pour leur construction émotionnelle et sociale. Un enfant qui cherche constamment un adulte exprime un besoin de réassurance et d’ancrage affectif.

Les recherches en neurosciences affectives, notamment celles du Dr Sébastien Bohler ou de Catherine Gueguen, montrent que l’attachement sécurisant favorise la régulation du stress et le développement du cortex préfrontal, la zone du cerveau impliquée dans l’autorégulation émotionnelle et la prise de décision. Un enfant en manque de sécurité émotionnelle peut donc être plus sujet à l’anxiété et avoir besoin d’un adulte pour gérer ses émotions.

Facteurs pouvant renforcer ce besoin de proximité :

???? L’angoisse de séparation, particulièrement entre 8 et 24 mois, une période clé du développement.

???? Un changement récent dans la vie de l’enfant (nouvelle structure, séparation parentale, arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur).

???? Un tempérament hypersensible, avec une forte sensibilité aux changements et aux stimuli extérieurs.

???? Des expériences passées qui ont renforcé une hyper-vigilance relationnelle(ex. hospitalisation précoce, départ du parent, insécurité affective).

Stratégies pour guider ces enfants vers plus d’indépendance

Lorsqu’un enfant manifeste un attachement particulièrement fort envers un adulte en crèche, il exprime un besoin de sécurité affective essentiel à son développement.

La pire approche serait de chercher à forcer l’enfant à se détacher brutalement en lui adressant des remarques dévalorisantes du type “Tu es trop grand pour rester collé comme ça” ou “Va jouer ailleurs, tu es toujours dans ses jambes”. Ces phrases, bien que parfois prononcées sous l’effet de la fatigue, peuvent être perçues par l’enfant comme un rejet et renforcer son insécurité. De la même manière, l’éloigner systématiquement – en le plaçant à une autre table, en l’excluant d’une activité ou en réduisant volontairement les interactions – risque de lui envoyer le message inverse de celui recherché : il ne se sentira pas encouragé à s’ouvrir aux autres, mais plutôt en danger dans ses relations. Or, pour qu’un enfant puisse progressivement prendre de la distance, il doit d’abord être sûr que cette relation n’est pas menacée et qu’il pourra s’y reconnecter à tout moment s’il en ressent le besoin.

Plutôt que d’imposer la séparation, l’objectif est d’accompagner l’enfant dans l’élargissement progressif de son cercle de confiance. La théorie de l’attachement développée par John Bowlby montre que les enfants sécurisés par la présence stable et prévisible d’un adulte de référence développent une plus grande autonomie sur le long terme. La clé est donc d’accueillir son besoin avec empathie tout en lui offrant des opportunités pour s’ouvrir en douceur aux autres adultes et aux enfants.

L’une des stratégies efficaces consiste à utiliser le jeu de proximité sans contact. L’enfant peut être invité à participer à une activité proche de l’adulte, mais sans nécessairement être en contact physique constant. Lire une histoire ensemble, jouer à un jeu d’observation ou participer à une activité sensorielle permet de répondre à son besoin de présence tout en lui donnant de la latitude pour évoluer à son rythme.

Les transitions douces et sécurisantes sont également essentielles. Plutôt que de confier brutalement l’enfant à un autre adulte, il est préférable de l’inclure dans une dynamique de groupe où l’autre adulte entre progressivement en interaction avec lui. Par exemple, si un professionnel doit s’éloigner, il peut d’abord créer une interaction entre l’enfant et un autre adulte ou avec un groupe d’enfants avant de s’éclipser brièvement. Ainsi, l’enfant ne ressent pas un abandon soudain, mais une continuité rassurante dans ses relations.

Enfin, il est essentiel de verbaliser positivement la séparation. Plutôt que de dire “Je dois m’occuper des autres, tu dois te débrouiller seul”, une approche plus adaptée serait : “Je vais aller voir Timoté un moment, mais je reviens vite vers toi. Tu peux rester ici et m’attendre, ou jouer avec Maëlys en attendant.” Cette manière de parler donne un cadre clair à l’enfant sans qu’il se sente rejeté.

Accompagner ces enfants demande patience et cohérence, mais en leur offrant des repères solides et une sécurité affective sans faille, nous les aidons à développer leur confiance en eux et leur capacité à s’épanouir dans un cadre collectif.

Focus : Prendre soin de soi en tant que professionnel.le

Être le repère privilégié d’un enfant est une belle responsabilité, mais cela peut aussi générer une forme d’épuisement émotionnel. Il est parfois difficile d’assumer cette relation tout en maintenant l’équilibre du groupe et en répondant aux besoins de chaque enfant. Pourtant, il est essentiel de veiller à son propre bien-être pour rester disponible et bienveillant au quotidien.

La théorie polyvagale de Stephen Porges nous rappelle que notre état émotionnel influence directement celui des enfants. Un adulte stressé ou irrité transmet involontairement ces signaux, ce qui peut renforcer le besoin de proximité de l’enfant en quête de sécurité. Identifier ses propres signaux de fatigue—irritabilité, lassitude, besoin d’isolement—et adopter des stratégies de régulation (respiration profonde, moments de recentrage, soutien entre collègues) est donc primordial.

Mais un autre aspect, souvent moins abordé, mérite aussi d’être pris en compte : parfois, l’adulte lui-même trouve du réconfort et une valorisation dans cette relation privilégiée. Il arrive qu’un professionnel développe un attachement particulier à un enfant, ressentant inconsciemment une forme de satisfaction à être “choisi” comme figure d’attachement. Ce lien peut être réconfortant, gratifiant, voire flatteur, notamment si l’on traverse une période de doute ou de fatigue professionnelle.

Cependant, même si cette relation peut sembler bénéfique, elle peut aussi créer un déséquilibre au sein de l’équipe. Lorsque l’attachement est alimenté involontairement—par des interactions privilégiées, un regard plus tendre, une attention plus marquée—cela peut compliquer la dynamique collective. Les collègues peuvent ressentir une forme d’injustice ou de frustration face à un enfant qui se détourne d’eux ou qui manifeste un rejet lorsqu’ils tentent d’interagir avec lui.

Pour préserver une harmonie au sein de l’équipe et assurer un cadre sécurisant pour l’enfant, il est essentiel de prendre du recul sur ses propres émotions et de s’interroger :

• Suis-je à l’aise avec l’idée que cet enfant interagisse de la même manière avec un autre adulte ?
• Ai-je tendance à privilégier inconsciemment cette relation au détriment des autres ?
• Comment puis-je accompagner cet enfant vers d’autres figures d’attachement tout en restant bienveillant ?

Travailler en équipe sur ces questions, échanger sur les ressentis et s’entraider pour équilibrer les relations est une clé essentielle. Encourager des interactions avec d’autres professionnels, organiser des temps collectifs où l’enfant se sent en sécurité sans être uniquement en lien avec son adulte de référence, et verbaliser les transitions de manière apaisante sont autant de stratégies pour préserver un équilibre sain.

Prendre soin de soi en tant que professionnel, c’est donc aussi prendre conscience de ces dynamiques affectives, non pour les rejeter, mais pour les accompagner de manière lucide et constructive. Une relation privilégiée ne doit pas devenir une relation exclusive, et c’est en garantissant une sécurité affective élargie que l’enfant pourra grandir sereinement, entouré d’un réseau de confiance plus large.

Pour mieux accompagner vos équipes dans la gestion de ces situations, nous vous recommandons d’organiser l’une de nos formations « Les émotions de l’enfant et les vôtres » ou « Accompagner les séparations« . Ces sessions permettront à vos équipes d’apprendre à prendre du recul sur ces situations difficiles et à comprendre les mécanismes derrière l’attachement. N’hésitez pas à nous contacter pour plus d’informations sur nos formations adaptées à vos besoins ! Le catalogue ici ????